François Kamoun est un arpenteur de territoires à la marge, des espaces périurbains. Il aime
emprunter en priorité les lisières qui bordent les sentiers battus.
En tant que piéton, qui s’attarde et revient fréquemment sur ses pas, marcher est pour lui le
moyen de repérer ce qui serait abandonné, oublié. Il porte un regard aigu sur ce qui a été délaissé,
des fragments d’objets industriels, maritimes, des scories qui émergent encore à la surface
de la terre ou celle de l’eau. Ces résidus portent une histoire, la trace d’actions, de forces oubliées
que François parvient à déceler.
À la manière des glaneurs (je pense au très beau film d’Agnès Varda et contrairement aux protagonistes
du film sa démarche n’est pas celle de la survie), il poursuit une quête avec acuité, il
repère l’abandonné, le rebut avec la précision de l’archéologue. Il prélève des restes fragmentaires
qui apparaissent comme les bornes précaires d’un paysage qu’il aime parcourir. Il porte et
transporte son butin, parfois avec la nécessité d’un engagement physique, car certaines de ses
découvertes sont encombrantes et lourdes.
Le retour vers l’atelier se déroule comme une offrande qu’il dispose sans mise en scène, mais
avec l’ attention du chercheur perspicace qui peut mesurer les qualités de chacune des pièces
qui se révèlent autres. L’ensemble provisoire se révèle telle une archéologie qui aurait anticipé
sur son histoire.
Il conçoit ses installations comme les récits de ses expériences d’immersion dans les sites qu’il
a prospectés et traversés. Les objets ainsi convoqués changent de statut, ils prennent forme,
imposant leurs singularités et leurs qualités. Par ailleurs, il poursuit sa démarche de collecteur
avec une autre dimension, introduisant une matière organique sonore qui lui permet de prolonger
ses dispositifs dans de nouvelles temporalités. Les connexions, parfois fortuites, parfois
provoquées entre les sculptures et les fragments sonores induisent pour le spectateur la possibilité
qu’un nouvel espace soit à franchir et à explorer et qu’une expérience sensible à vivre soit
possible.
Christophe Desforges, plasticien, professeur à l’Ecole
Européenne Supérieure d’Art de Bretagne site de Lorient, 2021

En voie de sonorisation :
En 2019, lors de mon parcours aux Beaux-Arts de Nîmes, j’ai eu l’opportunité de participer à un workshop aux côtés des artistes Mountaincutters.
Ce projet m’a invité à sélectionner une pièce du musée du Vieux Nîmes, afin
de m’en inspirer, de la réinventer, ou de m’approprier l’un des éléments de
cette collection précieuse.
Mon regard s’est arrêté sur un ancien mortier, sans numérotation ni datation,
un objet anonyme, presque effacé, des collections du musée.
Ce mortier, vestige silencieux du passé, portait en lui la mémoire d’un geste
ancestral : celui du broyage, ce dialogue intime entre l’homme et la matière, entre l’oubli et l’histoire.


Le Tintement Des Choses :
Tuille en terre cuite, charbon, carreau de carrelage, pierre calcaire, grille métallique,
bois, lin, chanvre. 216 x 65 x310cm. DNA ESBAN Nîmes, 2019
Un fragment de mur en calcaire, suspendu en
apesanteur, dialogue avec une grille métallique
qui flotte juste au-dessus du sol, comme retenue
par un souffle invisible.
Sur cette grille, des formes de terre cuite, un
bout de carrelage, un bâton, une tuile, et un
morceau de charbon s’invitent à la danse. Portés
par les courants d’air qui traversent la pièce,
ils s’entrechoquent doucement, produisant des
tintements légers, presque éphémères, qui résonnent
en contraste avec la densité des matières
suspendues, ajoutant à cette installation
un rythme délicat, à la fois fragile et puissant.


Cette installation faite de ruines glanées et de fragments d’épave s’ancre dans l’idée d’équilibre entre mémoire et impermanence. Chaque élément, porteur de son propre récit, se trouve réassemblé en une composition éphémère. Le morceau de vieux gréement, oxydé et rongé par le temps, tient en tension sur une brique rouge, symbolisant la fragilité et la solidité du passage du temps. Les matériaux bruts trouvent une nouvelle cohérence, questionnant les notions de ruine, de transformation, et la réappropriation des objets par le geste artistique.
Cela reflète aussi la relation entre Lorient et ses environs, un territoire marqué par l’histoire maritime et industrielle. Le contraste entre les matériaux usés et les formes brutes incarne un portrait sensible de la ville portuaire, évoquant à la fois sa résilience et sa transformation perpétuelle.

